L’abeille corse est connue des entomologistes sous le nom scientifique, d’Apis mellifera mellifera écotype corsica. C’est un nom assez long qui pourtant nous renseigne sur la spécificité de l’abeille corse.

Apis mellifera est le nom donné par Linné à l’abeille mellifère que nous connaissons tous. Le fait de répéter deux fois mellifera nous indique qu’il s’agit d’une sous-espèce particulière, l’abeille noire.

Sous-espèce que l’on rencontre depuis les rivages et quelques îles de méditerranée jusqu’au sud de la Scandinavie. Et enfin l’écotype corsica indique l’existence d’une population indigène de Corse.

Cet article se propose de faire une présentation de l’abeille noire de Corse, des particularités de cet insecte social, mais aussi de l’activité apicole et des miels de l’île de Beauté. Nous vous souhaitons bonne lecture !

Les particularités de l’abeille corse

Oui, il existe une grande diversité d’abeilles mellifères. Et maintenant que nous savons que l’île de Beauté en compte une endémique – c’est-à-dire que l’on ne retrouve dans aucune autre région du monde – il convient de la présenter en détail.

Morphologie et comportement de l’écotype corsica

abeille corse

Abeille corse sur une fleur de ciste

L’abeille corse se distingue de ses cousines par quelques caractères observables. Le premier est une pilosité moins prononcée que chez les abeilles noires continentales ; bien que le thorax et l’abdomen reste de couleur brune comme celles-ci. L’abeille corse possède aussi une trompe légèrement plus longue, qui lui permet de collecter le nectar dans des fleurs plus profondes.

Les scientifiques poussent l’identification plus loin en mesurant certaines nervures des ailes de l’insecte. Il en calcule l’indice cubique qui permet de distinguer les abeilles noires corses des autres écotypes d’Apis mellifera mellifera. Pour les chercheurs, l’abeille corse est une véritable abeille noire, mais qui possède toutefois des particularités uniques. Et c’est bien suffisant pour que l’on lui reconnaisse le statut d’écotype particulier.

Côté comportement, l’abeille corse est connue pour son caractère défensif prononcé. Comme toutes les abeilles noires, les ouvrières tenteront souvent de piquer l’intrus à l’ouverture de la ruche, mais parfois dès que ce dernier passe à proximité de la colonie.

Enfin tout comme les scientifiques, les apiculteurs corses remarquent qu’ils existent une diversité notable chez l’abeille locale. Notamment au sujet de ses comportements qui peuvent varier d’une ruche à une autre : agressivité, quantité d’oeuf pondus, production de miel,…

Ces différences sont sans aucun doute des adaptations à une flore et à des climats diversifiés. Mais diversité est aussi une garantie supplémentaire pour la survie de l’abeille indigène dans un contexte de réchauffement climatique et de forte pression parasitaire.

Une abeille qui essaime volontiers

Comme chez toutes les abeilles méditerranéennes, la reine pond tôt en saison et l’activité de la colonie est ainsi précoce. On peut même noter que dans les zones dont l’hiver est particulièrement doux la ponte ne cesse pour ainsi dire pas. Les colonies se développent rapidement et atteignent leur taille maximale à la fin du printemps.

Puis la population diminue durant l’été, car la reine arrête de pondre au mois d’août, lorsque les ressources en pollen et en nectar sont minimales. Enfin la ponte reprend à l’automne à la faveur de nouvelles floraisons et la colonie croît de nouveau pour assurer la collecte du nectar et du pollen.

Toutes les colonies d’abeilles mellifères se reproduisent par essaimage. Durant ce phénomène, la reine âgée quitte le nid accompagnée d’une partie des abeilles. Puis l’essaim part à la recherche d’un nouvel abri pour fonder une nouvelle colonie. Les abeilles qui sont restées dans l’ancien nid ont produit des cellules royales d’où émergeront des reines vierges. Mais une seule survivra et engendrera de nouvelles générations d’ouvrières. L’abeille corse est très prolifique et d’un même nid plusieurs essaims peuvent prendre leur envol au cours d’une année.

Ainsi l’abeille corse est connue pour essaimer souvent. Et l’essaimage se fait généralement au printemps parfois dès la fin de l’hiver. Mais il n’est pas rare qu’il se produise aussi à l’automne, alors que les plantes se mettent de nouveau à fleurir. Les apiculteurs n’apprécient pas toujours l’essaimage, car les abeilles qui quittent la ruche emportent une importante quantité de miel. Une ruche qui vient d’essaimer est aussi moins populeuse et donc moins productive.

Des butineuses eclectiques

le metcalfa produit une substance sucrée nommée mielat qui est la base d’un miel très épais

La Corse est une île montagneuse où les variations climatiques sont importantes. Trois domaines climatiques sont distingués :

● Un climat méditerranéen doux et humide en zone littorale,
● Un climat méditerranéen d’altitude dans l’arrière pays
● Et un climat de transition alpine plus en altitude

La flore de l’île de Beauté est riche de 2800 espèces de plantes vasculaires, dont 120 sont endémiques. Et l’altitude ainsi que la nature géologique des sols – terrains schisteux ou granitiques – favorisent des passages marqués d’une formation végétale à une autre sur une courte distance. Il en résulte d’une mosaïque d’associations végétales distinctes.

Dans les régions littorales, les abeilles peuvent butiner tout au long de l’année. Mais ailleurs sur l’île, les ressources florales se réduisent au cœur de l’été. En effet, les fortes chaleurs stoppent les floraisons de la plupart des plantes. Et seules les régions d’altitude offrent des possibilités pour butiner en juillet et août.

Certaines espèces végétales – comme la bruyère arborescentes (Erica arborea) – se retrouvent aussi bien en zone littorale que sur les reliefs. Les floraisons d’une même espèce ubiquiste sont étalées sur plusieurs mois en fonction de l’altitude. Ceci est une aubaine pour les apiculteurs qui pratiquent la transhumance de leurs ruches. D’autres espèces – comme l’arbousier (Arbutus unedo) – fleurissent à la fin de l’année et permettent aux abeilles de reconstituer leur réserve pour passer l’hiver. Citons également que le miellat émis par un insecte nommé metcalfa est collecté par les butineuses et est à l’origine d’un miel bien particulier. L’abeille corse ne produit pas d’importantes quantités de miel, mais elle est constante.

Ce n’est pas une légende, la Corse bénéficie d’un environnement exceptionnel et largement préservé. On y retrouve peu de grandes cultures, comme en d’autres régions de France. Et par extension, peu de problèmes liés à l’emploi de produits phytosanitaires et notamment d’insecticides.

Conservation de la biodiversité de l’abeille corse

Un redoutable parasite nommé varroa, malgré des mesures administratives préventives prises dès 1982 (interdiction d’importer des essaims du continent), a fait son apparition en Corse. L’île qui était connu pour l’abondance de ses colonies sauvages a ainsi perdu une grande partie de ces dernières.

On peut néanmoins reconnaître que cette interdiction d’importation d’essaims a permis de protéger l’abeille noire de Corse des pollutions génétiques que l’on constate partout ailleurs en France.

En effet, il n’est toujours pas autorisé d’introduire d’autres sous-espèces d’Apis mellifera comme l’abeille italienne ou de race sélectionnée comme l’abeille de frère Adam. On n’observe donc pas de phénomène de métissage avec perte des caractéristiques originales comme c’est malheureusement le cas pour les populations d’abeilles noires du continent.

Pratique de l’apiculture en Corse

végétation corse

végétation de l’arrière pays corse

Durant l’antiquité, la Corse était connue des romains et des grecs pour ses importantes ressources en miel et en cire. Ainsi lorsque l’île était sous la domination romaine, les corses devaient s’acquitter d’un tribu en miel équivalent à la production annuelle de cent milles ruches !

Des chroniques antiques nous sont parvenues jusqu’à nos jours. Ainsi l’historien grec Diodore (1er siècle avant JC) désignait l’abeille corse comme “l’animal roi” capable de produire suffisamment de miel pour “nourrir tout Rome”. C’est peu dire que d’affirmer que l’abeille fait partie intégrante de l’histoire et de l’identité régionale.

Toutefois à cette époque lointaine, les abeilles n’étaient pas élevées en ruche. Le miel et la cire étaient collectés sur des colonies sauvages. On parlera de cueillette et non pas de récolte. C’est bien plus tard que l’apiculture sera introduite en Corse. Mais rapidement cette nouvelle pratique va être adoptée sur toute l’île. Les premiers ruchers – terme qui désigne des groupes de ruches – vont faire leur apparition et seront même intégrés à des éléments d’architecture comme des murs ou des façades d’habitation.

De nos jours, les apiculteurs corses utilisent souvent la ruche du type Langstroth pour garder leurs colonies. Ce format de ruche convient bien à des colonies rassemblant moins d’abeilles. Toutefois, le plus petit volume de cette ruche ne permet pas à la colonie de stocker d’importante réserve de miel.

Les apiculteurs de l’île de Beauté travaillent plutôt en rucher fixe, car les ressources florales environnantes sont généralement suffisantes pour ne pas changer les ruches d’emplacement durant l’année.

Mais quelques uns effectuent des transhumances sur de courtes distances pour atteindre d’autres ressources nectarifères et pollenifères. C’est par exemple la cas pour la production de miel dit de “maquis d’été” qui impose de déplacer les ruches vers des zones d’altitude.

Sauf situation exceptionnelle, les colonies passent facilement l’hiver sur leurs propres réserves de miel. Mais il est parfois nécessaire de pratiquer le nourrissement (terme d’apiculteur pour désigner le nourrissage) pour aider les colonies les moins pourvues à survivre.

Les apiculteurs corses vous le diront, les deux principales difficultés pour travailler avec l’abeille indigène est sa tendance à essaimer tôt en saison, mais aussi sa nervosité pour ne pas dire son agressivité.

Mais les apiculteurs travaillent à la sélection de lignées plus calmes et moins essaimeuses. Et la station d’élevage d’Altiani a été créée afin de multiplier et diffuser des lignées plus compatibles aux contraintes d’une apiculture moderne.

L’AOP “Miel de Corse”

En Corse, la saison de butinage est bien plus longue qu’en région tempérée. Elle débute en février pour finir en novembre. La flore est diversifiée et caractéristique des différents terroirs de l’île. Très typés, les miels insulaires ont beaucoup de succès et sont largement exportés dans d’autres régions françaises et ailleurs dans le monde. Mais la Corse produit peu de miel – en moyenne 200 tonnes par an – et il s’agit d’un produit rare et cher.

Ainsi la filière apicole corse a créer un label afin de certifier la qualité de ses produits. Il s’agit de l’Appellation d’Origine Protégée “Miel de Corse”.

L’AOP “Miel de Corse” est un label de qualité qui garantit que les miels ont été produits à partir de nectars et de miellats butinés sur de la végétation naturelle et spontanée de l’île. Les miels produits à partir de cultures agricoles – sauf sur agrumes – sont rejetés par l’AOP.

Des analyses des pollens présents dans les miels sont effectués et permettent de certifier leur origine. On recherche la présence de pollen de plantes endémiques à l’île, mais aussi l’absence de pollen de plantes présentent ailleurs en Europe. Toute contrefaçon est rendue impossible.

Les productions apicoles de l’AOP portent les noms suivants : miel de printemps, maquis de printemps, miellats du maquis, châtaigneraie, maquis d’été et maquis d’automne. Et chaque miel présente une couleur, une viscosité et des arômes propres. C’est à vous de les découvrir…

Pour en savoir davantage

Si vous souhaitez en apprendre plus sur l’apa nera (nom de l’abeille en langue corse) et les pratiques apicoles de l’île de Beauté, nous vous conseillons de consulter le site de l’AOP “Miel de Corse” https://mieldecorse.com

Puis l’excellent reportage de la chaîne YouTube “Une saison aux abeilles” pour découvrir en musique le métier d’apiculteur dans le maquis et les paysages de Corse :

Enfin, si vous vous intéressez aux abeilles et êtes curieux d’en apprendre davantage sur leur biologie, consultez le programme de la formation en ligne suivante https://apiculture.idlwt.com

Merci pour votre lecture et à très vite pour un prochain article !